On ne peut le contester, les situations de crise contraignent les acteurs à innover. La tortue en connaît même que cela réjouit et qui verront peut-être leur carrière accélérer à cette occasion. Elle ne parle pas de la montée en qualité et en puissance de l’équipement des forces de police, mais de certaines décisions originales qui relèveront sans doute du surgissement du « radicalement nouveau dans l’histoire », selon les termes de Castoriadis, si tant est que la ladite histoire en adoube ultérieurement l’acte inaugural. Ainsi la grande roue de Lille, qui s’installe tous les ans sur la Grand Place, pour égayer la ville en cette période de fin d’année, sera-t-elle bien installée cette année encore, en dépit des restrictions dues à la situation sanitaire. La Mairie de Lille et la Préfecture du Nord sont en effet parvenues à un compromis. La roue tournera, cette année encore, mais elle n’emportera pas de tournants dans ses nacelles.
D’abord interloquée à l’annonce de cette nouvelle, un peu tendue même, voire stressée, et pour tout dire désemparée par l’absurdité de cette décision, j’ai cherché à me détendre en testant immédiatement la grande innovation : j’ai allumé une cigarette, que j’ai laissé se consumer dans le cendrier ; je me suis servi un whisky, que j’ai vidé dans l’évier ; avant de faire couler un bain chaud, que je n’ai pas pris. Mais cela n’a pas produit les effets attendus. Ce matin j’ai essayé autrement : j’ai posé une cigarette sans l’allumer dans le cendrier ; j’ai sorti un verre à whisky et j’ai laissé la bouteille à côté sur la table, sans remplir le verre ; puis j’ai fait semblant de faire couler un bain, en répandant juste ce qu’il faut de buée sur la glace de la salle d’eau pour lui donner l’air. Mais je n’ai pas vu de progrès significatif sur mon humeur.
Je me suis dit que la route serait longue, de cet acte inaugurant le monde d’après, à l’accomplissement de la société de consommation sublimée à laquelle il nous invite. Et je me suis demandé s’il faudrait quand même payer sa place chaque fois que l’on ne monte pas dans la grande roue.